Je n'aime pas nos conversations

Je n'aime pas notre lassitude

Je n'aime pas mon manque de joie

Je n'aime pas faire semblant

Je n'aime pas que tu veuilles à ce point gagner plus

Je n'aime pas que tu passes ton temps au travail

Je n'aime pas tes silences

Je n'aime pas mes trahisons

Je voudrais juste que tu comprennes

Je voudrais que tu réagisses

Il ne s'agit pas de toi

Il s'agit de nous, il s'agit de la vie

Il s'agit de l'âge qui nous attend en embuscade

Je m'ennuie je 'm'ennuie je m'ennuie je m'ennuie

Je voudrais vivre autre chose que ça.

A t on le droit de pleurer?

De danser jusqu'à cinq heures du matin?

Et de se lever à midi?

De fumer une cigarette roulée?

De faire une plaisanterie sur les noirs, sur les lesbiennes, ou sur les femmes?

A-t-on le droit d'être en retard?

Le droit de ne rien faire ?

Le droit de ne pas être productif?

Le droit de ne pas avoir d'amis?

Ou le droit de ne pas les inviter ...

Le droit de hurler dans la rue?

A-t-on le droit de ne pas choisir?

A-t-on le droit de ne pas vouloir?

A-t-on le droit de rêver?

Le droit de ne rien faire du tout?

De ne pas avoir de projets?

De ne pas aimer les chiens?

Ni les enfants, ni les vieux?

Le droit de puer des pieds?

A-t-on le droit d'avoir les dents jaunes?

D'aimer marcher sur la pelouse pieds nus?

Le droit d'aimer ne rien faire?

A-t-on le droit de vouloir partir? 

Mais de ne jamais le faire vraiment?

A-t-on le droit de pleurer?

La nuit quand tout le monde est couché?

A-t-on le droit de regretter?

A-t-on le droit de se tromper?

A-t-on le droit de perdre?

De ne pas y arriver tout le temps?

D'être le dernier de la course?

A-t-on le droit d'être malade?

A-t-on le droit de ne rien faire?

A-t-on le droit de dormir le jour et pas la nuit?

A-t-on le droit de ne pas être d'accord?

De ne pas vouloir être enfermé?

A-t-on le droit de ne pas être heureux?

Même si ça dure plusieurs années?

A-t-on le droit de préférer être une femme?

A-t-on le droit de ne pas aimer Netflix? 

Le droit d'être le dernier des ringards?

A-t-on le droit de chanter des chansons des années 80 à tue-tête?

Même celles de Michel Sardou?

D'écouter Tracy Chapman en boucle?

A-t-on le droit de ne pas savoir?

De se tromper plus souvent qu'il ne faut?

A-t-on le droit d'aimer la viande? 

Surtout une entrecôte grillée?

Le droit de manger du Nutella à la cuillère?

A-t-on le droit de ne pas voter?

A-t-on le droit de ne pas comprendre?

A-t-on le droit d'avoir peur?

A-t-on le droit de renoncer?

Sur les murs de vos perfections, je trace mes doutes comme des sillons.

Je suis celle qui n'a rien à vendre

Ni mon cœur

Ni mon corps 

Ni mon esprit

Ni mon sourire

Non je n'ai rien à te vendre

Ni chute de rein ni décolleté plongeant

Et si je porte une jupe trop courte

C'est simplement qu'il fait trop chaud

Je n'ai rien à te vendre

Alors n'espère pas me voir maquillée

Je ne suis pas une marchandise

Je n'ai pas besoin d'être emballée

Il faudra me prendre comme je suis

Je ne vends pas mon corps ni mon esprit

Et tout chez moi sera gratuit

Des milliers de dollars sur ton compte en banque

ne me feront pas lever la tête

Je dors bien mieux dans ma tente

Que dans vos villas avec jacuzzi

Et je ne rirais pas

Aux traits d'esprit des puissants

Car je n'ai rien à vous vendre

Ni mon corps ni mon esprit,

Pas même une bribe de savoir

Car tout chez moi est gratuit

Je ne sourirais pas à vos blagues

Je ne maquillerai pas mes yeux tristes

Pour leur donner des couleurs gaies

Car je n'ai rien à vous vendre

Ni mon corps ni mon esprit

Pas même le moindre petit produit

Pas de savoir

Pas de sentiment

Pas même un bijou

Ou un vêtement

Je n'ai rien à vous vendre

Je ne travestirais pas mes émotions

Je pleurerais si je dois pleurer

Et si je ris, je ris vraiment

Je ne ferai pas croire 

Que je suis autre que ce que je suis

Je déteste les masques sociaux

Sous le vernis règne l'ennui

Non je n'ai rien à vous vendre

C'est pourquoi je reste à distance

Je regarde de loin votre comédie 

Je rêve d'un monde où rien n'est à vendre

Je rêve d'un monde où on a le droit de pleurer

Je rêve d'un monde où règne la vérité

Derrière les filtres roses d'Instagram

Combien se sont suicidées?

Moi je n'ai rien à vous vendre

Ni mon cœur ni mon esprit

Pas même un sourire maquillé

Pas même un bout de décolleté

Pas la moindre once de ma vie

Avoir un autre enfant.

Un rêve de vieille pour rajeunir

Un rêve de renaissance?

Oui renaître à nouveau sous d'autres traits, une autre vie, renaître et ne jamais mourir.

Tu m'as dit non.

Avoir un autre enfant.

Troquer la solitude et l'horreur humaine contre l'instinct animal le plus primitif.

Troquer la bêtise et la haine contre l'amour et la tendresse.

Troquer le désespoir contre la joie.

Un enfant n'est pas un médicament.

Tu m'as dit non.

Avoir un autre enfant.

Imaginer son prénom, la couleur de ses cheveux et de ses yeux. Imaginer une vie qui s'éveille.

L'odeur douceâtre du nouveau né. 

La petite taille des pyjamas roses ou bleus avec leurs pieds grands comme des bonnets de schtroumpfs.

Les yeux couleurs d'encre qui cherchent le mamelon.

Tu m'as dit non.

Avoir un autre enfant.

Et tout est pardonné.

Avoir un autre enfant comme on lance un défi au monde. Avoir un autre enfant et sentir l'énergie vitale pulser. Sentir la lumière revenir en soi. Avoir un autre enfant et déplacer des montagnes pour lui.

Avoir un autre enfant pour redonner du sens à ce mélange d'aberration et d'absurdité qu'est notre vie. pour ne pas plonger dans le néant. 

Tu m'as dit non. Jamais. 

Alors je me suis recroquevillée. Et j'ai pleuré.

Il n'y aurait rien. Rien que le néant. Le néant de cette page blanche qui lentement s'étend. Adieu les mots plus ou moins bien ou mal choisis, les tentatives désespérées de saisir un trait de vérité sous la densité du monde. Adieu la beauté d'un point d'exclamation lancée comme une provocation, la tristesse d'un point de suspension qui dit ce qu'il ne voudrait pas dire, adieu la stupeur dune virgule pleine de rupture il n'y aurait rien que ce blanc et derrière ce blanc encore du blanc et rien d'humain ne serait prononcé sur cette page, rien qui fasse penser à quelque chose d'humain, il n'y aurait que le néant, le vide, l'absence, il n'y aurait que l'angoisse froide d'une solitude absolue, il n'y aurait pas un mot, pas un geste, pas une lettre, il n'y aurait absolument rien.

La page se prolongerait, blanche d'une pureté de nacre, et pourtant sous le blanc éclatant on devinerait. 

On devinerait l'absence et la tristesse, on devinerait que quelqu'un est mort dont on ne peut pas parler, on devinerait qu'il y a des choses que l'on ne peut pas dire, des mots que l'on ne peut pas prononcer, on devinerait tout cela et à nouveau la carapace se fendrait et la réalité apparaîtrait dans son odieuse abjection.

Il n'y aurait que moi face à cette page blanche que je ne peux pas écrire et face à des lecteurs qui n'existent pas, qui ne sont jamais nés.

Il n'y aurait rien mais on comprendrait que parfois, rien c'est tout.

Il n'y aurait qu'une vie qui bascule dans le néant et le chagrin qui vous colle à la peau, il n'y aurait que ces mots qu'on ne peut pas, qu'on ne doit pas, qu'on n'ose pas prononcer.

Alors peut-être je lui dirai pardon.

Pardon.