• C'est un texte juridique qui vise à protéger les auteurs, une sorte de syndicat qui veut défendre leurs droits en terme de rémunération, de conditions d'accueil, etc... Pour recevoir des auteurs depuis longtemps, j'y étais plutôt favorable, je trouvais que la rémunération minimale prévue était un peu faible mais un bon garde fou contre les velléités des institutions qui visent à smicardiser des auteurs; nous avions discuter de cette charte avec pas mal d'auteurs et les retours étaient mitigés, eux en étaient contents, de notre côté, nous parlions du risque de voir disparaître des rencontres, des prix littéraires de Province, de renforcer encore le grand écart entre la scène culturelle parisienne où tout se passe et la banlieue lointaine où on ne trouve aucun roman, aucun auteur, aucun salon, un désert culturel qui fait le lit de tout un tas de choses en -isme et en -phobie que la raison m'invite à ne pas évoquer ici publiquement.

    Et puis il y a eu cet auteur qui alors qu'il avait obtenu la majorité de voix pour son roman a refusé catégoriquement de venir chez nous parce que nous ne respections pas la charte. Enfin catégoriquement, pas vraiment, il a commencé par négocier le salaire, plus élevé que la charte et cela m'a semblé raisonnable, puis les horaires, il ne pouvait plus arriver avant 13 h alors qu'une journée entière de rencontre était prévue, puis les critiques plus ou moins directes sur l'organisation de ce prix, les conditions, bref, rien ne convenait. Puis il a posté des messages sur les réseaux sociaux où il se moquait de notre prix, ses amis de facebook ont traité les organisateurs de branquignols, sans même nous avoir jamais rencontré, nous étions devenu sujet de moquerie et de ricanements dans le cercle germano-pratin. Plante les ces branquignols. Voilà à peu près ce qu'on lui disait. 

    Je n'ai pas pu répondre évidemment, pas pu répondre avec mes tripes parce qu'on ne rentre pas dans des débats houleux susceptibles de faire le buzz quand on est agent de petite catégorie pour une ville assez connue pour être politiquement à droite. Alors j'ai acté de son refus avec la plus grande neutralité et la plus grande froideur possible. 

    Je n'ai rien dit et j'ai ravalé ma salive.

    Je n'ai pas dit que son roman m'avait touchée et bouleversée au point que je n'avais pas pu l'achever et que c'était les enseignants qui m'avaient convaincue de l'inviter parce que j'avais trouvé le texte trop choquant, trop difficile, trop vrai. Que mon fils adorait ses BD et que cela avait fini de me convaincre que oui, on allait le choisir malgré son texte si sombre,  le genre de texte que je ne file pas aux mômes d 'ici d'habitude parce qu'ils savent déjà trop bien tout ça. 

    Je n'ai pas dit que si le prix avait eu l'air mal organisé à un moment, si il y avait eu du retard dans les courriers de confirmation, des hésitations sur les dates, c'est parce qu'il nous avait fallu batailler trois mois pour obtenir les subventions nécessaire à financer l'achat des romans pour les élèves. Que ces subventions n'existaient que si un nombre élevé de classes étaient concernées. Parce que nous sommes dans des quartiers où personne n'achètera un roman de sa poche, que les trois romans que les élèves ont lu cette année seront sans doute les seuls qu'ils liront de toute leur scolarité, parce que justement, il vont rencontrer le monsieur qui les a écrit et que c'est pour eux une motivation suffisante. Je n'ai pas dit que ce prix comme beaucoup d'autre était voué à disparaître par manques de subventions de l'éducation nationale. Je n'ai pas le droit de dire cela.

    Je n'ai pas dit que les élèves seraient déçus, avec cette impression à nouveau d'être des moins que rien, chez qui personne ne veut se déplacer, pas dit que la scission entre les deux France s'accélère de jours en jours, qu'ils parlent d'une façon qu'à Paris il peine à imaginer, qu'ils s'éloignent chaque jour à des années lumières de ces jeunes là, de cette France là. Qu'il y avait Paris et le reste du monde et que la culture était en train de devenir hors sol, strictement parisienne et sur quelques émissions télé, tandis qu'en banlieue, le smartphone et la PS 4 tiendraient lieu d'unique lien culturel.

    Je n'ai pas dit que moi aussi j'avais écrit un roman et que je comprenais les écrivains et leurs colères. Que je comprenais à quel point il était dur parfois de venir parler d'un roman qu'on a écrit avec ses tripes. Que moi-même j'en avais été sacrément incapable. Qu'il aurait juste dû me dire cela et que j'aurais compris.

    Je ne lui ai pas dit de rester au salon de Montreuil où il serait bien mieux accueilli. Où il y aurait plus d'argent. 

    Que moi aussi quand je racontais cette histoire mes amis de traitaient de con, de mec hors sol, de déconnecté. 

    Je ne lui ai pas dit que j'avais une môme d'un an malade en permanence depuis le début de l'année, que j'avais enchaîné nuits blanches et soirées aux urgences, que je devais faire mon travail à 100% en 80% par choix et que oui, parfois cela m'avait rendu moins disponible pour répondre aux mails. Les mères de famille ont-elles le droit de travailler? Je me le demande parfois, quand je vois mon degré d'efficacité les lendemains de nuit blanche, je me demande si ce système qui pousse les femmes à travailler et avoir des enfants en France n'est pas absurde, totalement.

    Je lui ai cité les auteurs qui étaient venus voir ces gamins là. Pour qu'il discute avec lui. Parce que je sais que tous avaient été impressionnés de venir mais tous étaient repartis légers et heureux, heureux de l'accueil qu'ils avaient reçu. Parce que ces gamins là, ce sont les seuls écrivains qu'ils voient, ailleurs que sur wikipédia alors ils sont intéressés, et polis, et émerveillés, et rien que pour ça je pense qu'il faut continuer.

     

     

     

     

     


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